Réforme de la fiscalité locale : beaucoup d’interrogations demeurent après le vote définitif

Le projet de loi de finances pour 2020, que l’Assemblée nationale a adopté définitivement le 19 décembre, ne répond que partiellement aux garanties demandées par les élus locaux quant à une compensation intégrale de la réforme de la fiscalité locale. Les modalités de mise en œuvre et leurs effets collatéraux sur le financement des collectivités créent des incertitudes qui ne faciliteront pas la tâche des élus issus des prochaines élections.

Jeudi 19 décembre, l’Assemblée nationale a adopté définitivement, par 77 voix pour et 30 voix contre, le projet de loi de finances pour 2020, qui prévoit la mise en oeuvre (en 2021) de la réforme de la fiscalité locale. C’est donc la fin du « marathon budgétaire ». Et le moment de constater qu’en deux mois et demi de discussions parlementaires, l’article 5 qui supprime complètement la taxe d’habitation sur les résidences principales en 2023, transfère la part départementale de foncier bâti aux communes et affecte une fraction de TVA aux intercommunalités et aux départements n’a pas beaucoup bougé.

Seule évolution notable : la fixation à +0,9%, en 2020, de la revalorisation des valeurs locatives déterminant le calcul des montants de taxe d’habitation des résidences principales. Le gel, décidé initialement par le gouvernement, avait fortement mécontenté les associations d’élus locaux. Mais en mettant en place des modalités de révision moins favorables aux collectivités territoriales que par le passé, l’Assemblée nationale ne leur a pas donné entièrement satisfaction (sur la base des paramètres habituels, la révision en 2020 devrait être de l’ordre de 1,2%).

Lorsqu’il s’était saisi du projet de budget, le Sénat avait corrigé le tir. Il avait par ailleurs identifié un certain nombre de « failles » ne permettant pas d’assurer une compensation intégrale aux collectivités territoriales. Pour les résoudre, il avait conçu une batterie de mesures. Enfin, la Haute Assemblée avait décalé d’un an la mise en œuvre de la réforme, en prévoyant, dans ce laps de temps, le prolongement du dégrèvement actuellement appliqué. L’idée étant de profiter de ce délai pour affiner les simulations et effectuer d’éventuels ajustements.

Le coefficient correcteur sera-t-il viable ?

Mais en nouvelle lecture, lundi 16 décembre, les députés ont balayé d’un revers de main la totalité de ces aménagements. Les revendications que les associations d’élus locaux ont portées à l’unisson lors du congrès des maires de France ne sont donc pas satisfaites. On notera ainsi, entre autres, que la compensation des communes sera calculée en retenant les taux votés en 2017 – et non en 2019. De même, la quote-part de TVA devant remplacer en 2021 la taxe d’habitation des intercommunalités et la taxe foncière des départements sera fondée sur le produit budgétaire de 2020 – et non sur celui de 2021.

Un autre motif de déception des élus locaux provient du calendrier de la révision des valeurs locatives des locaux d’habitation. Si le chantier est programmé – comme ils le demandaient -, il ne doit, cependant, aboutir qu’en 2026, alors que pour eux, la réforme est « urgente. »

Le « coefficient correcteur » est, lui, source d’interrogations de la part des élus locaux. Etant donné qu’à l’échelle de chaque commune, le montant de taxe foncière départementale transféré correspond rarement à celui du produit de la taxe d’habitation perdue, ce mécanisme est indispensable. Il « se traduira chaque année par une retenue sur le versement des recettes de taxe foncière sur les propriétés bâties pour les communes surcompensées ou par le versement d’un complément pour les communes sous-compensées », explique le rapporteur de la commission des finances du Sénat. Mais le dispositif qui, d’après le gouvernement, devait être plus judicieux que le fonds national de garantie individuelle des ressources (FNGIR, conçu lors de la suppression de la taxe professionnelle), aura lui aussi ses limites. Selon l’Institut Paris Région, qui s’est penché sur le cas de l’Ile-de-France, sa mise en place pourrait accentuer les inégalités territoriales et remettre en cause l’autonomie fiscale locale. En effet, avec le dispositif, une partie des impôts locaux levés par une commune pourra être transférée au bénéfice d’autres communes. « Loin d’être un mécanisme plus efficace que le FNGIR, le coefficient correcteur en reproduit les défauts et même tend à les aggraver en déterritorialisant une part importante du dernier impôt direct local majeur », analyse-t-on à l’Assemblée des communautés de France (ADCF). Le système sera-t-il viable à long terme ? L’absence de réponses nourrit « une forte inquiétude » chez les élus locaux, estimait, début décembre, le président de l’Association des petites villes de France (APVF), Christophe Bouillon.

Indicateurs financiers : le chantier s’ouvre

Avec ses pairs, l’élu met aussi en avant la nécessité de réviser rapidement les indicateurs financiers servant au calcul des dotations et des fonds de péréquation. Car la suppression de la taxe d’habitation les rend complètement obsolètes. Sans, a minima, une neutralisation des effets de la réforme, la ville de Paris sera considérée, au regard de ses données, comme une des collectivités les plus pauvres ! Le gouvernement a, semble-t-il, entendu l’inquiétude des élus locaux sur cette question. Il a demandé au Comité des finances locales de se réunir « en groupe de travail le 14 janvier et en plénière fin janvier pour travailler sur l’évolution du potentiel fiscal et financier », comme l’indiquait le secrétaire d’État auprès du ministre de l’Action et de Comptes publics devant les sénateurs, le 10 décembre.

Autre question soulevée par la réforme : les communes qui font des efforts en faveur du logement social pourront-elles faire face à la hausse mécanique de leurs dépenses ? L’inquiétude est légitime, sachant que les exonérations de taxe foncière accordées aux bailleurs sociaux ne sont quasiment pas compensées par l’État.

Les départements, sans autonomie fiscale

Si la réforme de la fiscalité locale soulève de nombreuses questions sur l’avenir financier des communes et de leurs groupements, on peut parler de changement de modèle pour les départements. Le terme n’est pas excessif : le transfert aux communes de la taxe foncière laissera aux départements un « trou » de 15 milliards d’euros annuels. Qui sera compensé, comme on le sait, par une fraction de TVA. L’autonomie fiscale des départements sera ainsi rayée d’un trait. Il faut voir dans ce choix un prélude à la « dévitalisation » des départements, estimait même un élu lors du dernier congrès de l’Assemblée des départements de France. Ses craintes pouvaient être attisées par les conclusions de diverses études, dont une de l’Afigese. La réforme augmentera « la dépendance » des collectivités départementales à l’égard de recettes sensibles à la conjoncture, alors que ses charges sont croissantes, analysait l’été dernier l’association qui regroupe les spécialistes des finances en poste dans les collectivités. Si survient une crise économique, quelle issue restera-t-il aux départements ?

Une première réponse a été apportée dans le projet de loi de finances pour 2020 : les départements pourront compter, à partir de 2021, sur une fraction supplémentaire de TVA, de 250 millions d’euros par an (certes, sur cette somme, 115 millions d’euros correspondront simplement à la « pérennisation » du fonds de soutien aux départements) et « la totalité de la dynamique » de cette fraction de TVA (soit entre 6 et 7 millions d’euros la première année) sera mise en réserve.

Partager l'article