A Rennes, l’appel des territoires pour un Pacte girondin

A l’invitation de Jean-Luc Chenut, Président du Département d’Ille-et-Vilaine, le 88e Congrès des Départements de France a eu lieu cette année, les 7, 8 et 9 novembre derniers, au Couvent des Jacobins de Rennes. Après plusieurs mois de relations tendues et trois semaines seulement après le remaniement ministériel, le gouvernement a enfin repris le dialogue avec les Départements. Un geste d’ouverture salué par l’ADF mais jugé néanmoins très insuffisant.

Les 7, 8 et 9 novembre derniers, le Couvent des Jacobins de Rennes accueillait le 88e Congrès des Départements de France. Plus de 1 000 congressistes (record de fréquentation battu) sont ainsi venus redire leur attachement à « la décentralisation, la vraie, celle qui fait confiance aux territoires. »

Jean-Luc Chenut, Président du Département d’Ille-et-Vilaine qui, après une pensée émue pour « les habitants, les élus et les collègues du Département de l’Aude* », a rappelé que le « Département n’était pas une variable d’ajustement» et a invité « le gouvernement à être à la hauteur des enjeux ».

Dominique Bussereau, Président de l’Assemblée des Départements de France a ouvert les débats en écho aux propositions du gouvernement. Réunis la veille en Bureau, les Présidents de Départements ont accepté les propositions financières tout en considérant que, « s’il y a un acompte, le compte n’y est pas. Nous menons des politiques publiques de proximité. Les chiffres doivent être à la hauteur des défis. » Avant d’ajouter : « Nous sommes pour la péréquation horizontale avec les Départements les plus fragiles. Nous donnerons l’exemple de la solidarité. »

Gérard Larcher, Président du Sénat, indéfectible défenseur des collectivités territoriales, s’est étonné de cette « recentralisation en marche » arguant que « l’Etat doit cesser de jouer les collectivités les unes contre les autres » et que les Départements doivent conserver leur autonomie fiscale et financière ainsi que leur libre administration : « Ma détermination est entière. On ne lâchera pas ou nous perdrons tous face aux populismes de tous crins. »

D’accord sur le désaccord

Depuis plusieurs mois, les trois grandes associations d’élus défendent avec ferveur les libertés locales appelant de leurs vœux un Pacte girondin. Dans le prolongement de l’Appel de Marseille, la « Triple Entente » entre l’ADF, l’AMF et Régions de France s’est vue concrétisée à travers la signature de l’accord de Rennes par Dominique Bussereau, André Viola, François Sauvadet, François Baroin, André Laignel, Hervé Morin, François Bonneau et en présence de Gérard Larcher et Jean-Luc Chenut. Autrement dit, la création d’une toute nouvelle association, Territoires Unis, qui a pour objet le rassemblement de tous les élus locaux.

Invité à prendre la parole, le Président de l’Association des Maires de France assume : « Depuis 40 ans, nous avons joué à chats et à chiens. Il est temps de briser le mur de glace qui nous sépare pour construire une nouvelle étape de la décentralisation. » Et de rappeler : « Moins d’investissements publics c’est aussi moins de points de croissance. Nous refusons d’être étranglés davantage et ne revendiquons aucune fiscalité de nature à grever les finances du Département. Si la commune est fille de la Révolution, le Département est enfant de la République. »

Hervé Morin a pour sa part rappelé le lancement imminent des assises des libertés locales. Des réunions en régions métropolitaines et ultramarines réuniront élus de toutes sensibilités et forces économiques et sociales afin de formuler des propositions pour relancer la décentralisation.

« Il y a un acompte… mais le compte n’y est pas »

A la suite du remaniement, le gouvernement s’était engagé à formuler des propositions à l’ADF avant la tenue de son Congrès. Dans un courrier adressé à l’ADF, il annonce débloquer un fonds de lutte contre la pauvreté de 135 millions d’euros pour l’année 2019 et lancer un fonds de stabilisation de 115 millions d’euros par an pour faire face à la charge des allocations individuelles de solidarité (jusqu’en 2021) pour les Départements les plus fragiles. Il prévoit enfin d’inscrire 141 millions d’euros dans le projet de loi de finances pour 2019 afin de faire face à l’augmentation des charges inhérentes à l’accueil des mineurs non-accompagnés (25 000 en 2017 et probablement 40 000 en 2018).

Si c’est une réconciliation de forme, les avancées sur les dossiers de fond se sont révélées très insuffisantes pour les Départements. Une somme bien en deçà des attentes des Départements : les dépenses d’AIS se sont en effet élevées à 18,1 milliards d’euros en 2017 (10, 2 milliards de RSA, 5,7 d’APA et 2,2 de PCH) et le reste à charge culmine à 9,3 milliards. Dans un tel contexte, il est peu de dire que la venue de la ministre des territoires Jacqueline Gourault ainsi que du ministre chargé des collectivités, Sébastien Lecornu, était attendue.

Renouer le dialogue

Invitée à répondre aux questions de cinq Présidents de Départements, la Ministre a déclaré que « l’échelon départemental ne serait pas supprimé, qu’aucune fusion ne serait imposée par le haut, qu’un impôt pouvait être perçu par plusieurs collectivités mais qu’il fallait respecter tout le monde et que le dialogue devait se poursuivre. »

Sébastien Lecornu a quant à lui posé la question de l’efficacité des dispositifs sociaux et des financements. Il a appelé de ses vœux à se dire la vérité, à partager la contrainte et à faire preuve de souplesse, notamment dans l’application de la loi NOTRe.

Crédit photo : ©Thomas Crabot

Dominique Bussereau souhaite pour sa part que les négociations se poursuivent et que la question d’arithmétique soit réglée. Ajoutant : « Vous faites un effort notamment en matière de MNA en les sortant des 1,2 % mais la marge est toujours importante. » Et faisant remarquer que « si on perd notre autonomie fiscale nous ne sommes plus des collectivités. »

En guise de conclusion, Jacqueline Gourault a rappelé que « nous avons tout à gagner à travailler ensemble. La création de ce grand ministère nous oblige et il répondra aux attentes des territoires. » Elle a redit aussi que le gouvernement est « attaché au principe d’égalité mais qu’il fallait en terminer avec les politiques uniformes. A vous de nous faire remonter les irritants que vous constatez sur le terrain. »


Les propositions du gouvernement
  • 115 millions d’euros de fonds de stabilisation ;
  • 135 millions d’euros de fonds de lutte contre la pauvreté et d’accès à l’emploi (dont 50 millions de Fonds d’appui aux politiques d’insertion – FAPI déjà existants) ;
  • 141 millions d’euros pour la participation au financement de l’accueil des mineurs non accompagnés (MNA) et des dépenses au titre de l’aide sociale à l’enfance (ASE) ;
  • un nouveau format pour la Conférence nationale des territoires ;
  • des réunions régulières entre les Présidents de Départements et les ministres.

Six dates pour comprendre la rupture entre l’Etat et les collectivités locales et pour renouer le dialogue

> 17 juillet 2017 : Lors de la Conférence nationale des territoires (CNT), le Gouvernement demande aux collectivités locales et notamment aux Départements de contribuer à hauteur de 13 milliards d’euros (pendant la durée du quinquennat) à la réduction de la dépense publique en plafonnant leurs dépenses de fonctionnement à 1,2 % par an. La majorité des Départements refuseront de signer ce pacte.

> Août 2017 : Cette mesure se double d’un gel des dotations de l’Etat de l’ordre de 300 millions d’euros et ce, alors même qu’elles ont déjà été amputées de 11,5 milliards d’euros au cours des quatre années précédentes.

> Mai – juin 2018 : L’ADF et le Gouvernement conviennent d’un accord sur les AIS, unilatéralement dénoncé ensuite par le Premier ministre.

> 4 juillet 2018 : Le Gouvernement annonce le transfert de la part départementale de la taxe foncière sur les propriétés bâties au bloc local en remplacement de la taxe d’habitation. Ce projet est refusé collectivement par les Départements et par les communes.

> 19 septembre 2018 : Lors de la Conférence des Villes, le Premier Ministre définit la Métropole comme la « clé de voûte du futur modèle territorial français ». Les cinq Départements potentiellement concernés (Nord, Gironde, Haute-Garonne, Loire-Atlantique et Alpes-Maritimes) s’opposent à toute fusion autoritaire.

> 26 septembre 2018 : La veille du 14e Congrès des Régions, les Maires, Présidents de Régions et de Départements lancent conjointement l’Appel de Marseille pour les libertés locales et pour une relance de la décentralisation.

> 16 octobre 2018 : Après deux semaines d’hésitations et de spéculations, le gouvernement est remanié. Jacqueline Gourault prend la tête d’un grand ministère de la Cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Elle est épaulée par Sébastien Lecornu (Ministre) et de Julien Denormandie (secrétaire d’Etat)

 

* Dans la nuit du dimanche 14 octobre, un « épisode méditerranéen de type cévenol » d’une rare intensité s’est abattu sur le Département l’Aude. L’état de catastrophe naturelle a été déclaré. Onze morts sont à déplorer.

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