Départements : des dépenses sociales mieux maîtrisées mais de plus en plus contraintes

L’étude annuelle de l’Odas sur les dépenses départementales d’action sociale présentée ce 20 juin dessine une progression de 1,3% en 2018, avec des évolutions contrastées selon les catégories de dépenses. Les « contrats de Cahors » ne seraient pour rien dans cette courbe moins alarmante que celle que l’on a pu connaître dans le passé. Les dépenses nettes d’aide sociale à l’enfance (ASE) sont celles qui augmentent le plus. En volumes, le RSA et l’insertion représentent la part la plus importante. L’Odas s’inquiète de voir « s’accentuer le poids des dépenses obligatoires que sont les allocations, par rapport aux autres dépenses sociales » en matière, notamment, de prévention et d’accompagnement.

L’Observatoire national de l’action sociale (Odas) présentait ce 20 juin son étude annuelle sur les dépenses départementales d’action sociale. Cette livraison porte sur les résultats de l’année 2018. Réalisée par extrapolation à partir d’un échantillon permanent et représentatif de 43 départements métropolitains, l’étude de l’Odas a fait depuis longtemps la preuve de sa fiabilité. Chaque année, les chiffres officiels de la Drees (direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques des ministère sociaux) viennent d’ailleurs, quelques mois plus tard, confirmer très largement ces projections.

37,9 milliards d’euros de dépenses nettes, en hausse de 1,3%

Pour 2018, l’étude de l’Odas aboutit à une dépense nette d’action sociale des départements métropolitains de 37,9 milliards d’euros, pour une charge nette – déduction faite des contributions de la CNSA et de l’Etat (TIPCE) pour les allocations – de 29,5 milliards d’euros. La progression est de 1,3% en 2018, pour la dépense nette comme pour la charge nette. Sur les cinq dernières années (depuis 2014), la hausse est de 8,1% pour la dépense nette et de 8,6% pour la charge nette.

La hausse de 1,3% observée en 2018 correspond aux 1,2% de progression des dépenses des collectivités, imposés par le gouvernement dans le cadre des « contrats de Cahors » limitant la hausse des dépenses de fonctionnement des grandes collectivités. Un rapprochement qui fait bondir Pierre Monzani, préfet et directeur général de l’Assemblée des départements de France (ADF), que l’Odas avait convié à la présentation. Celui-ci estime en effet que « l’Etat n’a pas à s’attribuer le mérite de la maîtrise de la dépense ». Face aux difficultés engendrées par la progression des dépenses sociales, les départements, ont engagé des efforts conséquents de maîtrise de leurs dépenses bien avant les contrats financiers, que seuls 45 d’entre eux ont au demeurant signés. Une étude en cours à l’ADF montrerait d’ailleurs que les départements non signataires présentent des résultats similaires à ceux qui ont contractualisé.

Une réalité confirmée par la traditionnelle analyse de La Banque Postale, partenaire de l’Odas, sur la situation budgétaire des départements en 2018. Son responsable des études a confirmé que « les collectivités territoriales n’ont pas attendu les contrats pour engager des démarches vertueuses. La baisse tendancielle des dépenses de fonctionnement est clairement marquée depuis le début de la décennie ». En 2018, les départements ont ainsi réduit leurs dépenses de fonctionnement de 0,9%. Cette évolution « résulte à la fois d’une augmentation contenue des dépenses d’action sociale et de la poursuite de la maîtrise des frais de personnel ». La Banque Postale estime, elle aussi, que « signature des contrats ou pas, les comportements sont à peu près les mêmes ».

Les dépenses d’ASE en forte hausse

Parmi les faits marquants, l’étude de l’Odas met en évidence des évolutions contrastées selon les catégories de dépenses sociales. Ainsi, les dépenses nettes d’aide sociale à l’enfance (ASE, hors personnels) progressent fortement de 2,6% en 2018, sous l’effet des dépenses de placements en établissements (+5,8%). Il est difficile de ne pas y voir, au moins pour partie, une conséquence des arrivées de mineurs non accompagnés (MNA), alors que les dépenses en milieu ouvert ne progressent de 0,9%.

Les autres catégories de dépenses augmentent moins rapidement : +1,3% pour les dépenses nettes de soutien aux personnes âgées (qui bénéficient, durant quelques années, de l’effet démographique favorable des classes creuses de l’immédiat avant-guerre et de la Deuxième Guerre mondiale), +1,1% pour les dépenses de soutien aux personnes handicapées (malgré des dépenses de PCH qui restent dynamiques, plus de dix ans après la création de cette prestation), +1% pour le RSA et -0,6% pour les autres dépenses d’intervention. Dans le secteur social, les dépenses de personnel progressent de 0,8%.

Le RSA première des dépenses nettes, l’ASE première des charges nettes

En termes de volumes, l’Odas souligne l’importance des écarts selon que l’on raisonne sur la dépense nette ou la charge nette. En dépenses nettes, le RSA et l’insertion arrivent en tête avec 10,4 milliards d’euros, suivis par les personnes handicapées (7,6 milliards) et l’ASE (7,6 milliards), les personnes âgées (7,1 milliards), les dépenses de personnel (3,6 milliards) et les autres dépenses (1,6 milliard).

La situation est très différente si on considère la charge nette, déduction faite des contributions de l’Etat et de la CNSA. L’ASE – qui ne fait l’objet d’aucune compensation – arrive alors en tête (toujours, donc, avec 7,6 milliards d’euros), suivie des personnes handicapées (7 milliards), des personnes âgées (4,9 milliards) et du RSA et de l’insertion (4,8 milliards). Les postes du personnel et des autres dépenses restent logiquement inchangés, en dépenses nettes comme en charges nettes.

Solidarité juridique et solidarité inventive

Mais, pour l’Odas, ce tableau d’une progression de 1,3% de la dépense sociale des départements « pourrait être perçu comme rassurant s’il ne s’accompagnait d’un autre constat : les dépenses obligatoires que sont les allocations augmentent de 2%, tandis que l’ensemble des autres dépenses progresse de moins de 0,7%. » « On voit donc à nouveau s’accentuer le poids des dépenses obligatoires que sont les allocations, par rapport aux autres dépenses sociales », poursuit l’Odas.

Pour Jean-Louis Sanchez, le fondateur et délégué de l’Odas, « l’équilibre n’est pas bon entre la solidarité ‘juridique’ – allocations légales, hébergement, évolution des salaires – et la solidarité ‘inventive' ». Or, ces dépenses de solidarité inventive « sont intrinsèquement liées à la principale mission sociale des départements : agir en matière de prévention, d’insertion et d’accompagnement social ». Conséquence de cet effet de ciseaux entre les deux types de dépenses : « Le rôle des départements semble ainsi de plus en plus impacté par des responsabilités gestionnaires qui réduisent leurs marges de manœuvre pour intervenir en amont des problèmes et d’empêcher leur aggravation ».

Un des exemples les plus frappants est la baisse continue des dépenses consacrées aux actions d’insertion, qui reculent encore de 10% en 2018. De même, Claudine Padieu, la directrice scientifique de l’Odas, évoque certains départements qui n’assurent « que le gîte et le couvert pour les MNA », autrement dit se contentent de les loger dans des hôtels, sans assurer de véritable accompagnement.

Les départements n’ont pas perdu leur capacité à innover

Pour autant, Jean-Louis Sanchez veut rester optimiste, en évoquant l’inventivité d’autres départements, qui ont su trouver des solutions innovantes – tout en étant moins coûteuses – pour assurer une prise en charge et un accompagnement efficaces des MNA. Face au désir de ces derniers de s’intégrer et de se former, ces départements n’ont pas hésité à prendre leurs responsabilités, en augmentant le nombre de contrats jeunes majeurs chez les MNA, même si cela a pu se faire parfois au détriment d’autres jeunes de l’ASE.

Autres piste prometteuse : les conférences des financeurs de la prévention de la perte d’autonomie, qui associent notamment les régimes de retraite et dont les actions touchent des acteurs plus variés (milieux culturels ou sportifs, formation…) et diversifient les publics (retraités non dépendants).

Mais ces avancées ne suffisent pas à effacer les inquiétudes. L’étude de l’Odas conclut ainsi que « si l’on s’en tenait aux seuls résultats globaux de l’évolution de la dépense sociale des départements entre 2017 et 2018, on pourrait penser que ceux-ci sont sortis de la zone rouge. Mais, en réalité, les contraintes issues de leur responsabilité en matière d’allocations individuelles poursuivent leurs effets négatifs sur la capacité des départements à agir en matière de prévention des risques sociaux ».

Côté recettes, l’inquiétude porte sur un possible renversement du marché immobilier, avec les conséquences alors inévitables en matière de rendement des droits de mutation, la principale recette propre des départements. Surtout si – comme semble le prévoir la future réforme de la fiscalité locale en cours de discussion avec les associations d’élus – le foncier bâti est transféré au bloc communal pour compenser la suppression de la taxe d’habitation…


« Cela nous choque d’avoir un secrétariat d’Etat à la Protection de l’enfance »

Interrogé sur l’interventionnisme croissant de l’Etat en matière de protection de l’enfance (loi de 2016, mise en cause de l’ASE, polémique sur les contrats jeunes majeurs…), Pierre Monzani, le directeur général de l’ADF, explique que les départements « ressentent beaucoup d’agacement face à l’interventionnisme de l’Etat sur l’enfance » : « Cela nous choque d’avoir un secrétariat d’Etat à la Protection de l’enfance. Pourquoi pas un secrétaire d’Etat à la construction des collèges et des lycées ? C’est la traduction d’un rapport très français à la décentralisation. Si on a décentralisé l’ASE en 1983, c’est pour que les départements en aient la responsabilité ! Quand on vous donne une mission, il faut avoir les moyens politiques de l’assumer. A défaut, ça participe d’un manque de clarté dans la responsabilité politique ».

Le directeur général de l’ADF a également évoqué la question des MNA. Leur nombre aurait atteint 36.000 en 2018, soit 8.000 de plus qu’en 2017, pour environ le double se présentant comme MNA (dont, pour l’anecdote, un candidat qui se serait révélé avoir 45 ans après évaluation). Du coup, le taux de rejet de la condition de minorité est de plus des deux tiers. Mais « cela n’a rien de politique, car la plupart des évaluations sont déléguées à des associations. A Paris, par exemple, elles sont majoritairement confiées à la Croix-Rouge et le taux de rejet serait de l’ordre de 80% ». En termes budgétaires, le coût des MNA est passé de 50 millions d’euros en 2010 à environ 2 milliards d’euros aujourd’hui.

Enfin, Pierre Monzani a indiqué qu’une majorité de départements sont prêts à s’engager dans la signature des contrats de lutte contre la pauvreté (qui intègrent la questions des jeunes majeurs). Mais, là aussi, l’ADF regrette la dysmétrie de l’effort : les 50 millions d’euros fléchés par l’Etat en direction de la prise en charge des jeunes majeurs représentent à peine les dépenses du Nord et du Pas-de-Calais en la matière… Et l’ADF n’a pas obtenu que ces dépenses soient sorties du périmètre des contrats de Cahors.

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